Décembre balaye les feuilles mortes de sa bise froide et hier le soleil a suspendu son vol : il est arrivé au plus bas de l’horizon et pendant trois jours il somnolera comme une boule molle dans un ciel pâle avant de remonter chaque jour d’un petit sursaut. Il a six mois pour atteindre le haut du ciel et y parader trois jours avant la chute inexorable qui initie l’été.
La lente sinusoïde d’Hélios crée à elle seule la sève qui se réfugie dans les racines et le bourgeon qui perce l’écorce, la tige impatiente et la feuille qui se détache, le rut des grands félins, les transhumances, la couvaison des oiseaux, nos grands nettoyages de printemps et la tristesse de l’homme face aux brouillards automnaux. Notre étoile héliaque a permis à notre Terre d’accoucher de quatre enfants : les saisons. Hier fut le point d’orgue qui tua l’automne; le solstice a célébré l’entrée de notre hémisphère dans la saison froide.
La proclamation de l’hiver ressemble à une incongruité : les jours prometteurs de lumière rallongent dès les premiers instants de cette saison mal-aimée qui convoque le froid, le silence, l’obscurité, le gris et l’immobilité. Une poignée de mois où les animaux se terrent, ferment les yeux pour ne les rouvrir qu’au printemps, où des insectes morts il ne subsistent que les larves grouillantes au fond de la terre, une saison fuie par les oiseaux migrateurs, par les pique-niques champêtres et les hamacs suspendus sous les branches des fruitiers. La sieste hivernale se fait sous l’édredon ou vautrée sur un canapé face au poêle qui ronge une bûche comme les enfants de l’été sucent un sorbet.
Entre ces deux points solaires devant nous deux saisons s’étalent : l’hiver immobile et le printemps ivre. Le mot solstice signifie « le soleil qui se tient immobile ». Après la frénésie des feuilles arrachées par l’automne et l’hystérie des fleurs printanières, le solstice est une invitation au non mouvement.
L’immobilité serait-elle la porte secrète d’un autre monde ?
Las de nos anciens dieux et rebelles à leur sagesse nous avons façonné une nouvelle divinité dont le nom commence par le V de la victoire. Victoire sur le temps bien sûr ; la Vitesse, enfant naturel de l’ennui.
Pour réussir il faut aller vite. Les trains, les avions, les bateaux pulvérisent chaque année leur record pour nous faire gagner quelques minutes. Même la fibre optique se targue d’un haut débit. La formule 1, les courses de vélos, de motos, de chevaux, de lévriers et d’hommes : la vitesse, encore. Elle excite le spectateur, le mouille d’adrénaline, affole son muscle cardiaque. Immobile devant l’écran, on est pris de tremblements et de palpitations : gagner 0,02 seconde en ski mène à la médaille d’or. Les escargots doivent en baver de rire.
De quoi la vitesse rapproche ? De quoi éloigne-t-elle ?
Prier et méditer se pratiquent immobile : la vitesse ne serait-elle pas la ruse qui nous éloigne de notre divinité ?
Qu’il est dur de renier le mouvement. Il m’accompagne chaque jour dans mes pas et profite de mon inconscient pour s’inviter dans mon sommeil : mon corps se love en rond, s’étire soudain, se retourne et sans prévenir et s’abandonne à nouveau à la passivité.
Le mouvement, ce perpétuel balancement qui projette en avant, vers l’avenir incertain, qui froisse toute tentative d’équilibre et fait frémir nos inquiétudes. Que sera demain ? Faut-il se mettre en mouvement pour aller voir?
Et si nous restions immobiles ? Nous attendrions que les choses viennent à nous et plutôt que de se précipiter dans le temps nous laisserions le temps faire son chemin.
L’homme s’extasie devant les crépuscules saignant d’un soleil qui nous quitte mais l’empereur stellaire lui ne bouge pas, il se contente de fixer un point imaginaire au-dessus de nos têtes en laissant la cour de ses planètes frétiller en ronde incessante.
Galilée comprit l’illusion : il balaya l’anthropocentrisme mis en place par certains égos dysfonctionnels. Le soleil fuit à l’Ouest ? Balivernes, c’est la Terre qui vacille vers l’Est.
Que se passerait-il si la terre s’immobilisait ? Cela dépend du moment où on actionne le frein à main. Imaginez le jour éternel ou la nuit sans fin. Laissons donc tourner les planètes, valser notre voie lactée dans la grande léthargie de l’Univers pour créer le mouvement des étoiles qui inspirent les poètes.
Mais nous, insignifiants humanoïdes dans ce monde sans finitude, pourrions-nous un instant cesser notre mouvement comme le soleil solsticial ? Rendre grâce aux saisons ? Car ce sont elles qui viennent réveiller notre torpeur, nous inviter au pas de deux, soulever notre cœur ou nous rendre paresseux. Hier, j’ai célébré le solstice dans l’immobilité. Dans la nuit, perchée sur une colline sacrée, entourée d’ églises en ruine construites par les premiers chrétiens, d’une roche plate j’ai créé mon autel. Il était païen, l’hiver ne m’en voudra pas.
J’ai célébré la stase de la terre. Accompagnée d’un ami et d’un chat égaré venant de nulle part nous avons fait brûler de l’oliban et pendant que la fumée nous reliait aux étoiles nous avons médité : notre offrande au monde.
L’immobilité se définit par des négations : ne plus agir, ne plus bouger, ne plus penser. Y a-t-il une suite logique : ne plus espérer, ne plus souffrir ?
Jaunes ou rouges les étoiles pulsaient au-dessus de nous, malgré la proximité d’Athènes elles se permettaient les couleurs au-dessus d’Egina. La nature était en paix, le vent somnolait, roulé en boule dans sa caverne. Le froid de l’hiver nous mordillait de ses canines neuves mais cela valait bien la beauté de l’instant !
Nous avons écouté des chants sacrés hindous, les vibrations des Aom répétés ont caressé mes tympans, se sont déposées sur ma peau. Aom qui créa jadis le diphtongue Amen, ainsi soit-il.
La saison froide nous invite à l’immobile, je vais en profiter : du haut de mon voilier posé sur ses béquilles je contemple le monde, je calme mes pensées, je me prends pour l’hiver qui dans le silence obscur de la terre couve le germe.
De moi, de nous tous il va naître quelque chose, j’attends immobile que la graine se transforme.
Merci 😘
Merci Fabienne , de toutes ces cascades de mots et de pensées… très profondes et belles . Joyeux Noël à toi et bon passage vers 2023 !