Aleph s’apaise, les vents sont moins forts; nous voyageons sur les côtes du Péloponnèse dans le golfe de Saronique. Après quelques jours à Égine, nous avons frôlé un îlot dont le flanc nord est boisé et peuplé de biches et de paons sauvages pour arriver à Épidaure, un modeste port de pêcheurs qui attendait notre voilier au fond d’une enclave naturelle. Ici la roche est blonde, se coule jusqu’à l’eau turquoise et se parfume de pinède. Derrière le village le paysage plat abrite de grands vergers : les pommes rouges ploient les branches mais ces fruits sont emplis de rubis translucides et précieux ; c’est la saison des grenades, elles achèvent leur maturité sous le soleil doré de l’automne.
Plus loin dans la montage repose le sanctuaire d’Esculape, fils d’Apollon et dieu de la médecine. Je me devais le pèlerinage chez le père de tous les médecins. Il y a deux mille cinq cent ans on pratiquait ici la médecine par « incubation ». Les patients venaient de tout le royaume s’endormir dans le temple : le dieu les guérissait dans leur sommeil, profitant des rêves.
Cette médecine avait compris (pardonnez-moi le langage médical) que ce n’est qu’en rythme parasympathique qu’on accueille la guérison. L’autre reine de l’échiquier qui porte mal son nom (la sympathique, donc) n’est que plaie béante de stress et d’anxiété où la maladie comme un loir géant se love pour en faire ses appartements. Ma sœur est yoga teacher, notre discussion m’apprit que le yoga nidra implique un état de relaxation profonde qui accueille la possible guérison. Esculape était moderne avant l’heure, la science n’avait pas encore inventé les mots mais la technique faisait déjà ses preuves.
En visitant le site devenu célèbre pour son amphithéâtre, on est accueilli par une énergie étrange et perceptible qui propose à chacun de nos mouvements de se poser dans l’instant. La pinède a repris ses droits sur le site et les arbres surplombent les ruines des temples dans la grande prairie des fouilles.
Au-dessus du vert inaccoutumé de la terre (la Grèce cet été nous habitua au bleu de la mer et à l’ocre des îles sèches) les nuages hauts balayent de leur écume fraîche un ciel profond comme un regard et nous sommes invités à nous poser entre le cosmos inspirant et la terre nourricière.
J’erre parmi ces champs de ruines élégantes, caresse le tronc rugueux du pin, contemple dans le musée les fins drapés de marbre blanc et le déhanché presque sensuel d’Hygie, déesse de la santé qu’on reconnaît par le serpent qu’elle porte en écharpe, mais celui-ci n’est pas de plumes. Hygie, fille d’Esculape, ma princesse, celle dont je m’inspire dans mes consultations car la santé me semble plus importante que les maux et que ma pratique se concentre sur le bien-être, reflet lumineux du mal-être, du malaise, de la maladie : il suffit parfois de traverser le miroir pour percevoir avec des yeux nouveaux.
Les nuages à l’horizon ont amené la pluie. Ce n’est pas l’orage et son fatras grandiloquent d’éclairs hirsutes et de grognements virils mais une pluie douce, féminine, nourricière qui se dépose sur la terre d’une bruine translucide, sous un vent absent dans un air presque immobile. Les gouttes sont d’abord silencieuses, elles teintent le sol, le font briller de lumière malgré un ciel dense qui nous garde du soleil. Puis la douce s’enhardit, ses gouttes se font précises, sur l’eau les cercles concentriques se multiplient et enfin la pluie ose la musique. L’orchestre est enfantin et laisse jouer mille triangles au la régulier, il n’a pas besoin de la grosse caisse pour équilibrer la mélodie : elle se suffit à elle-même et invite au sourire : il pleut !
Dans ce pays où la sécheresse débute en mai c’est la joie qu’elle apporte. La terre s’imbibe de vie comme un buvard avide de l’encre de l’écolier, elle se parfume d’humide et mes narines frémissent.
Aleph au port offre les parfums interdits en mer. Je suis née à la fin de l’été et j’aime les pas naissant de l’automne quand il ose de ses premières fraicheurs chasser les touffeurs de l’été.
En ce mois d’octobre le soleil rase la terre, au pôle il ne sera qu’un souvenir, ici il éblouit à l’horizontal même en plein midi. Le temps s’est rafraichi comme sur toute l’Europe, nous venons d’offrir à Aleph un chauffage et cherchons un endroit pour hiverner dans un port tranquille loin des vagues cruelles de l’Égée, à l’abri du vent du nord.
En automne la nature ralentit, elle invite à l’introspection et dans nos nuits Esculape murmure dans nos rêves que les beaux voyages sont aussi intérieurs.
Ton paragraphe sur la pluie est un vrai bijou! On aurait du se croiser à Epidaure, si on avait su…nous y étions . Pourquoi ne pas hiverner à Pylos? C’est protégé et sympa. Et on vous verrait. Amitiés
C’est vraiment un grand plaisir renouvelé à chaque fois que tu nous livres une page de ton aventure sur la mer et sur la terre grecque. J’aime te lire. J’aime la façon dont tu nous fais à la fois rêver et participer à ce voyage initiatique que tu entreprends entre deux périodes de ta vie professionnelle. Continue s’il te plaît à nous permettre de t’accompagner tout au long de ton « Voyage ».
Avec tous mes remerciements, je t’embrasse. Alain.
Fabienne, tu nous transportes à chaque phrase, chaque mot vers un monde pure et noble, loin de nos téléphones que nous tenons dans nos mains en te lisant. Effectivement le passage sur la pluie est divin, puissant, ça donne envie de peintre d’être là-bas avec vous.
Merci pour ce voyage sur Aleph.
Ces quelques lignes lues ce matin m ont rempli d entrain ! Quel talent ! Quelle aventure !
Bises
Merci très chère amie pour ce texte qui remue, émeu, fait réfléchir et nous enrichit de multiples merveilles.
Belle suite à vous dans la fraîcheur automnale
Toujours en termes de médecine, n’oublions pas que les habitants des iles grecques pratiquent depuis toujours le régime méditerranéen ou crétois! Je suis convaincu que le climat et le régime alimentaire sont déterminants. Il y a au moins cinq médecines traditionnelles qui toutes soignent le malade (chinoise, tibétaine, herboristerie, spagyrie, homéopathie, etc.) tandis que la médecine conventionnelle soigne la maladie. Or, il est intéressant de constater que celle-là rejoint les premières puisque la médecine conventionnelle découvre qu’il faut maintenant personnaliser les traitements….