l’orage d’été

Depuis notre ciel de cabine, cette vaste lucarne qui s’ouvre au-dessus de notre lit, ce matin le ciel est gris et rien ne bouge.

Nous sommes à Léros, au mouillage devant le petit village de Pantelis et depuis qu’Éole batifole ailleurs la mer étale son eau dans un miroir sans reproche : en général son bleu Klein supporte l’azur : tout n’est que bleu quand on regarde au large.

Mais ce matin le ciel, comme la mer est gris. Un gris perle en l’air, un anthracite sur l’eau. Et si je tourne le regard vers la terre, ses collines ocres ont perdu la fierté de l’été : c’est un brouillon marronnasse, tâchés du verts des grands pins.

Après des semaines de sécheresse, la nature se prépare à la pluie. Il est 7 heures, Je me glisse dans l’eau parmi le paysage endormi pour faire mes brasses matinales dans le silence du petit matin. Alors les premières gouttes tombent autour de moi, des cercles furtifs sur le miroir de l’eau, la goutte au centre hésite de mélanger sa douceur au sel de la mer, elle remonte une fois pour mieux retomber : les yeux au ras de la surface j’observe la beauté que m’offre cette loi de la physique.

nuages plombés

Au loin éclate une lumière : derrière la colline la foudre est tombée. Un murmure mou lui réplique : l’orage est loin, je continue mes brasses. En revenant à bord la pluie s’intensifie : que la pluie est belle quand elle s’est fait prier de longues semaines. Après la sécheresse de cet été sur toute l’Europe, nous le savons tous.

café grec, moka italien

Nous fermons les lucarnes, je prépare mon café grec puis m’installe dans le cockpit sous le bimini protecteur. Je contemple l’horizon se charger de la densité de la pluie : le nuage s’alourdit et je sais que le vent absent ne l’emmènera pas ailleurs, il pèse comme du plomb, rase la mer, frôle les mâts des voiliers et soudain il perce. La pluie forte s’abat sur nous, verticale parfaite, rejointe par l’orage qui gronde comme un puma derrière les collines.

inquiète…

Les chattes peu rassurées viennent nous tenir compagnie et j’écoute, fascinée, ces roulements sonores qui emplissent l’air tiède d’un été grec. Il pleut comme dans mes montagnes, comme dans vos plaines, comme sur vos villes. Mais surtout il pleut sur la nature et ici, comme ce le fût chez vous il y a quelques jours, le végétal célèbre enfin sa rédemption.

Les racines se réveillent, elles se désaltèrent pour que la vie reprenne : aux pieds des tiges sèches de nouvelles pousses vertes enverront demain leur fragilité à l’assaut de l’été, le raisin gorgé de soleil crée de cette eau céleste son nectar à en faire éclater ses grains. Et si les cigales se taisent, apeurées par l’eau inconnue, d’autres insectes attendent le lendemain avec l’impatience qui leur sied : les guêpes pour se désaltérer aux flaques, les dytiques pour se prendre pour le Christ et marcher sur l’eau et les libellules bleues pour virevolter autour de ces nouveaux Éden humides quand le soleil reviendra. 

Et la terre : la terre se parfume de l’humide, des fragrances de sous-bois envahissent le pré en friche, même le champignon aurait sa chance en plein cœur du mois d’aout.

La pluie tombe fine et verticale et l’orage prend ses aises, moi qui pensait qu’il épuiserait rapidement ses feulements sauvages, le voici qui rebondit sans cesse de colline en falaise et incite la pluie à redoubler de puissance. Et que serait un orage d’été sans le vent ? Le voici accourant rejoindre la fête : quelques bourrasques feront l’affaire, il n’a pas l’humeur à la tempête aujourd’hui mais creuse les vagues et les envoie sur les étraves des voiliers comme le joueur envoie sa boule dans les quilles.

Aleph est amarré à un corps mort : une bouée rattachée à ses quintaux de ciment au fond de l’eau. Il ne bougera pas. Ce n’est pas le cas des bateaux autour de nous : un voilier dérive vers la plage : son ancre posée sur les algues chasse, il est à la merci de l’orage : il mettra le moteur et partira en mer attendre l’accalmie qui toujours suit la pluie.

Près de nous un catamaran amarré près de rochers dérive soudain vers son voisin. Les cris de mariniers préviennent l’abordage, les hommes gesticulent, se démènent, rajoutent une amarre, dans le vent fouettant il faudra du temps pour redresser le navire.

La pluie s’arrête, le silence comme le chat se lèche pour sécher toute cette eau, mais ce n’était qu’un leurre : elle reprend de plus belle et me met en joie : laissons la nature se gorger de vie, elle nous le rendra bientôt dans l’abondance de ces fruits.

une heure après

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