Nous voici à Icare, l’île témoin de la chute de ce fils qui vola trop près du dieu Soleil. Nous avons d’abord longé la côte sud de l’île et un premier mouillage nous a soumis à une houle épuisante, toute la nuit les corps ont bougé : il n’y a pas que le vent qui puisse s’attaquer à la patience du navigateur. Nous avons alors mis cap sur le port de Aghios Kirikos : une place nous attendait en long side. Au-dessus de la petite marina désuète un immense rocher surplombant accueillait différents oiseaux qui vivaient en paix : colombes le jour, chauve-souris la nuit et les hirondelles de passage de leur vol rapide.
Nous découvrons les sources chaudes du bien nommé hameau « Therma » : sous un surplomb de falaise, de la mer protégée émergent des sources chaudes dont l’eau est réputée guérisseuse. Étrange jacuzzi sauvage où les gens restent quelques dizaines de minutes, le corps réchauffé par l’eau brûlante, le corps massé par le ressac des vagues et l’esprit un peu anesthésié. Je fais la planche dans l’eau chaude, les yeux ouverts sur l’immense voûte de pierre lézardée douze mètres au-dessus de nous. La mer murmure à mes oreilles immergées des contes d’un autre temps, tout est silence, coton ouaté, le temps décélère, l’instant est à portée de pensée.
Au port une nouvelle routine s’installe : café du matin sous les tamaris centenaires, promenades dans le maquis sauvage du cap où la grotte de Dionysos nous accueille de son ombre fraiche, quelques baignades bien sûr.
Et en fin de journée, les apéritifs avec nos voisins de pontons : ensemble on se découvre, on rit, on échange, on refait le monde. Ce sont plusieurs trajectoires de vie qui se rencontrent avant que chacun de nous reprenne sa destinée. Le temps d’une escale on façonne l’impermanence d’un nouveau clan, car l’être humain n’est pas un animal solitaire et les mots échangés et les rires nourrissent sans doute plus que cinq légumes quotidiens. On ne se refait pas : j’ai toujours préféré l’échange d’un sourire et de quelques mots avec un inconnu à une pomme en train de se faner…
Nous pensions rester à Icare quelques jours à peine, mais l’île est connue pour sa « dolce vita à la grecque » : ici on prend le temps de vivre, et cela déteint sur nous. Et puis le vent semble être de mèche : il a repris en puissance. Le vent icariote prend l’aspect de bourrasques catabatiques : l’air semble endormi dans une douce léthargie estivale et soudain en quelques secondes il passe de 3 à 30 ou 40 nœuds, de fortes rafales descendent de la montagne en gagnant d’intensité. Mieux vaut faire profil bas devant leur puissance. Nous sommes restés 10 jours prisonniers consentant de cette île attachante. Qu’il est doux alors de ne pas avoir de date de retour établie, de plan rigide et d’agenda rempli : les pages vides de notre existence se remplissent d’elles-mêmes selon les caprices de la nature.
Et c’est bien.
Depuis le début de notre odyssée nous suivons le cap vers l’Est. Après Icare, nous faisons escale dans une baie profonde de la petite île de Fournoi, seuls au monde et réveillés le matin par les chèvres qui viennent se désaltérer dans la mer. Les chèvres font partie des rares animaux qui s’abreuvent aussi d’eau salée.
Puis nous rejoignons Patmos, l’île du Dodécanèse la plus septentrionale. Étonnante terre qui ressemble à une tâche d’encre de Rorsach répandue sur la mer. Elle abrita dans l’antiquité un temple d’Artémis : au XIème siècle un moine le détruisit pour édifier à sa place un monastère dédié à St Jean l’évangéliste qui vécut dans une grotte de l’île. C’est ici qu’il écrivit le célèbre texte de l’apocalypse. Apocalypse ne signifie rien d’autre que la révélation : « mettre en lumière ce qui est caché ».
Quant au moine qui saccagea le temple d’Artémis, il fut sanctifié. Je tairai son nom pour ne pas qu’Artémis le pourchasse de ses flèches justicières.
Nous repartons sous un vent favorable : les voiles sont pleines, Aleph se gausse de la petite houle et avance sous un vent enfin raisonnable : tout est impermanence, surtout le vent. Nous arrivons à Arki, îlot rocheux qu’une main divine trempa dans un bleu turquoise. Mosaïque improbable. L’ancre tient, le vent se lève, il chante dans les haubans, mais notre maison tiendra pour la nuit. La cuisine sent les aubergines à la poêle agrémentées de menthe, d’ail et de feta. Nous sacrifions le restant de notre immense pastèque pour le dessert : les repas sont simples, suivis de sieste, nous retrouvons une vie à l’ancienne, loin de tout sauf de l’essentiel.
Puis nous mettons cap sur Agathonisi, toujours plus à l’Est. Agathonisi : un îlot grec oublié du tourisme et collé à la Turquie : nous voici aux confins de l’empire hellénique. Une anse calme accueille une poignée de voiliers, 3 caïques de pêcheurs, quelques tavernes où le temps s’arrête. Nouvelles rencontres, nouveaux sourires échangés, peu importe si nous ne connaissons pas les prénoms des gens, c’est l’échange, toujours l’échange qui nourrit.
Les côtes turques délimitent notre galaxie : nous arrivons au bout de la ligne presque droite qu’Aleph suivait vers l’Orient ; elle ricochera pour repartir ailleurs, au Sud sans doute.
Merci d’être là. Vous faites partie de l’essentiel : lointain mais très proche. Vous devenez mon clan. Une ancre dont la chaine est tissée de vos noms me relie au continent.
Merci pour tes explications de votre vie errante si riche de belles rencontres et sur la navigation que j’affectionne particulièrement. La Grèce fait rêver. Toujours en pensée avec toi. Bon vent
la Grèce est un rêve éveillé. Et je ne veux plus me réveiller…
Mille mercis Fabienne de nous faire partager, votre périple 🙏 extraordinaire de détails 💜 bon vent✨
Quel beau récit, merci de nous garder à bord avec vous et de décrire si joliment vos aventures avec autant de références si intéressantes 🙏🏻 Doux vent et tendres sourires 😘
Merci pour ton récit au cours de ce beau voyage. Profitez bien. Nous voyageons grâce à vous. Bises
Très beau texte Fabienne
…..et le voyage continue pour nous aussi grâce à tes si belles descriptions!
Je vous embrasse 😘😘
Un ouragan a ravagé la Corse: il y a eu des morts et des bateaux fracassés sur la plage. J’espère qu’Eole a été plus clément avec vous!
Éole se tient enfin sage ! Nous sommes à Léros, dans le Dodécanèse la mer et les cieux sont cléments avec Aleph qui avance de mouillage en mouillage en prenant son temps, de criques désertes en eaux turquoises nous célébrons chaque crépuscule d’un ouzo agrémenté de quelques pistaches. En pensant à vous tous.
Extraordinaire aventure ! Et avec quel
talent tu nous la fait partager
C est un grand rayon de soleil
On en a bien besoin en ce moment Merci
Bien sûr, de mon fauteuil , c’est facile de te suivre et de plonger avec toi pour assurer l’ancrage solide , j’avais cru comprendre qu’avec cette canicule , les cigales n’en pouvaient plus …chez nous , les lézards sont absents , pourquoi ? À bientôt , que les vents vous soient favorables , pour moi, je vais me procurer l’Histoire de la Méditerranée