Nous rendons visite à Éole à domicile, c’est à dire dans son archipel des îles éoliennes. Aleph est au mouillage à Porto di Ponente, dans l’île Vulcano qui abrite un volcan actif. L’arrivée se fit hier au crépuscule, après une longue navigation de près de 11 heures contre le vent.

Autour de notre crique la côte est acérée, des pics gigantesques émergent de l’eau, épées de pierre tendues vers les cieux, Excalibur libérées. Ici la beauté n’est plus insolente, elle est vierge, sauvage, elle n’a pas choisi : arrachée du ventre de la Terre, la roche volcanique trop jeune affirme son adolescence et provoque les bateaux de ses griffes pierreuses et traitresses.
Il est à peine six heures : je sors sur le pont face au petit matin. Tout près de nous le cratère de Vulcano nous surplombe, éventré par d’anciennes coulées de lave il fume avec l’assurance d’un ancien colon britannique vautré dans son fauteuil club. Autour d’Aleph les vagues courtes fouettent de leur pugnacité les roches noires et dans la crique d’autres voiliers au mouillage dodelinent au gré de la houle, encore somnolents. Une barque de pêcheur ronronne sur l’eau et se dirige vers les falaises sous le cri de quelques mouettes gourmandes, avides de poisson frais.

Ce matin je contemple d’un seul regard l’air, le feu, l’eau et la terre. Les textes anciens ayurvédiques décrivent ainsi la naissance des éléments : à l’origine se trouve Akasha, l’éther, le contenant invisible et sans matière du tout, qui donna naissance à l’air, le mouvement invisible du vent. A force de friction le vent créa l’étincelle du feu. Le feu brûla et se condensa pour devenir matière liquide : l’eau, qui persévéra dans l’incarnation pour se transmuter en terre, élément final, lourd, inerte. La création des éléments se fit donc du plus subtil au plus dense.
Je suis bercée par la houle de la mer d’où émergèrent les terres crachées par le feu de Vulcain, et caressée de la brise éolienne. J’observe les falaises déchiquetées qui abandonnent à chaque vague un peu puissante de la poussière de roche et je contemple les fumerolles jaunes de Vulcano qui frémissent au dessus de son cratère : son feu retourne à l’air. Ce matin la nature célèbre le retour à l’unité en inversant le processus initial : la terre redonne à l’eau et le feu se dissout dans l’air.

Et l’air est chargé du parfum de soufre. Je n’ai jamais été aussi proche d’un volcan vivant, même si son activité est sourde et silencieuse. Les volutes de soufre qui s’élèvent du fin fond de la terre représentent le lien infime entre l’extérieur du cratère et son intérieur, le non révélé où il est nécessaire de plonger pour comprendre l’origine du tout. Vulcano et ses parfums soufrés me remémorent certains écrits alchimistes : « V.I.T.R.I.O.L» signifie « Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem, c’est-à-dire : « Visite l’intérieur de la terre et en rectifiant, tu trouveras la pierre cachée ». Il faut donc plonger au tréfonds de soi pour y découvrir sa pierre philosophale.
Du long de la route où nous nous promenons, des fumées chaudes sortent des pierres et quand nous voulons nous rendre à la plage des « eaux chaudes » des gardes en interdisent l’entrée en posant des rubans: elle restera fermée au moins 15 jours, m’avertissent-ils, car les émanations deviennent trop fortes. Quant à la visite du cratère, elle est strictement interdite.
Le vent emplit mes narines de l’odeur âcre du soufre, symbole des émotions, de la colère, de l’ego. Aujourd’hui Vulcano fait de l’ordre dans ses émotions alors que nous marchons le long de ses flancs sans nous douter un seul instant du feu intérieur qui couve dans ses entrailles. Il s’abandonne à l’œuvre au noir, se consume, purifie miasmes et scories.
Et moi ? Quand oserais-je, à l’instar de Vulcano, plonger à l’intérieur de moi pour évacuer soufre, fumerolles âcres et colères acides ? Que pourraient m’enseigner l’île et ses volcans, si ce n’est m’initier à l’œuvre au noir ?
Aleph m’arrache peu à peu du superflu en me coupant des médias, de la routine du monde extérieur. Inévitablement ce voyage philosophal me laisse en tête à tête avec moi-même, avec mon ordre et mes désordres.
Cet archipel n’est que volcans et pourtant il a été baptisé en l’honneur d’Éole. Probablement car les anciens savaient que le vent est indispensable au feu : il souffle pour nourrir les flammes ou envoie des bourrasques violentes pour éteindre l’incendie. Au cœur de ces îles volcaniques, je fais vœu de m’abandonner à Éole afin qu’il éteigne le feu des émotions trop vives qui consument le cœur. Ensuite, il pourra attiser le feu sacré qui se révèle en chacun de nous, qui fusionne les contraires pour créer l’Unité.
Et ma foi, si Éole attise trop le feu et que la chaleur devient excessive, il me reste l’alternative de plonger dans l’eau rafraichissante qui nous entoure.

Merci Fabienne pour ces beaux moments, instants de voyage partagés.
Ta plume ravi mon âme d’aventurière et ravît le feu de l’aventure.
Avec toi un instant en pensée
Tu écris de mieux en mieux! Bravo
Continue. Bises
Buongiorno , Che piacere lire le tue parole. Mi fai viaggiare ogni volta e gioire di questa bella avventura. Bravoooo
Je te remercie 🥰🎶
Micaela
Je viens de rattraper le mois de mai d’un trait. Quel plaisir! Merci pour le partage de cette belle aventure qui rayonne d’ énergie bienfaisante. Bonne continuation et vivement la suite! Cécile
C’est toujours un GRAND plaisir que de te lire.
Merci pour ce feuilleton, récit de ton voyage.
Bises et Bon Vent !!!
Quel plaisir de lire tes récits et de partir en voyage avec vous !
Je t’embrasse fort