s’arracher, s’attacher

A midi, lors de ma pause je marchais paresseusement dans les rues piétonnes de Lausanne pour m’arrêter face à la devanture d’une librairie que j’affectionne particulièrement : la Louve. En vitrine se trouvait le livre de Nicolas Bouvier intitulé « s’arracher, s’attacher ».

Quel beau titre ! Il suffit de faire glisser le « r » en « t » pour que le sens s’inverse. En ce moment ces deux mots définissent au mieux ce qui se trame au fond de mon cœur. J’observe Lausanne, ses rues, ses magasins, son brouhaha, le sapin de Noël géant qu’on vient d’ériger sur la place de la Palud et je réalise que dans une poignée de jours je tourne la page pour retrouver les mouettes rieuses, les goélands crieurs et l’horizon aqueux de la Méditerranée qui cache dans un arrondi moelleux des contrées  inexplorées.

La neige qui tombe si drue sur le toit de mon chalet ces jours-ci, la route enneigée que j’emprunte pour partir travailler, le paysage grandiose du lac gris sombre et les vignes blanchies du Lavaux : de tout cela je m’arrache.

Car pour partir point tu ne t’attacheras.

Apprendre le détachement : l’affaire n’est pas mince ! La nostalgie se coule dans mes veines, je quitte la Suisse comme on quitte une femme qu’on a aimée mais qui ne suffit plus à combler. Je deviens marin : l’appel du large s’amplifie, les mers silencieuses m’appellent et les embruns de l’Océan nettoient l’attachement que j’ai à la Terre : C’est Poséidon qui a raison de Gaïa !

Je fais mes adieux, je détache mes liens et m’arrache, doucement, en silence, avec une petite révérence du cœur pour ces rencontres dont vous faites partie et qui constituèrent pendant ces belles années mon attachement à la Suisse.

Les racines arrachées, les ailes peuvent se déployer…