
Aleph aborda la Sardaigne par son nord-est et sa côte Smeralda, joyau protégé de la vilénie que sait hélas générer un tourisme de masse. Ici la beauté brute reste intacte. Le vent est timide sur la mer Tyrrhénienne, il doit être ailleurs en train de chicaner d’autres océans.
La nuit au mouillage, quand l’obscurité tombe, la grande toile de la nuit déplie au-dessus de notre mât ses myriades de lucioles, autant de soleils si lointains que certains sont déjà éteints. La nuit apaise, les petits bruits abiment à peine le silence : clapotis d’un poisson audacieux qui saute hors de l’eau, grincement imperceptible de notre ancre, petit duc qui appelle sa duchesse bien-aimé dans la noirceur du ciel, à moins qu’il ne récite une ode à dame lune qui veille sur son monde obscur.
Nous descendons ainsi la côte Est, de mouillage en port quand le vent forcit trop et que la houle se lève, puis de nouveau au mouillage au milieu de nulle part.

Hier, avant d’arriver à Arbatax, petit village situé sur le bien nommé Capo Bella Vista, nous avons longé pendant des heures les falaises sardes, abruptes et dotée d’un certain orgueil. Mais comment leur reprocher ? Le paysage est évidemment improbable pour celui qui se trouve à terre : ce n’est qu’en prenant du recul qu’on peut contempler ces roches plongeant dans la mer, issues de temps si anciens que la mémoire de l’homme n’était pas encore née.

L’eau turquoise lèche de sa houle les pieds des titans de calcaire tantôt rouges et chargés de fer, tantôt blancs, éblouissant de lumière. Cette roche verticale délimite la partie la plus sauvage de la Sardaigne, où nulle route, nulle habitation, nul être humain n’a sa place. Quelques arbres rachitiques cramponnent leurs racines aux anfractuosités, tordus par les vents violents, nourris par les faibles pluies. La vie est bien entêtée, rien ne l’empêchera jamais de se reproduire !
Aleph rase cette muraille qui nous interdit l’accès à la terre et je peux observer de près ce temple issu de la nature à faire pâlir de jalousie la plus belle construction humaine.
Ça et là le roc est abimé par les griffes géantes du temps, comme si le temps était un oiseau de proie venu abattre ses serres contre les falaises pour lui demander son dû. Les morceaux ont été emportés au fond des flots, d’autres jonchent le bas de la muraille mais à l’image d’une vieille reine digne et indétrônable, la falaise froissée persiste dans sa fierté.

Le soleil matinal joue avec l’ombre de ces rides géantes et parfois une figure animale ou même humaine jaillit des clairs obscurs. Seraient-ce des gardiens du temps, géants d’une autre civilisation qui, tel le Sphinx, gardent leur regard rivé à l’Est, où Helios se lève chaque matin ? Pétrifiés dans leur attente…

Je divague doucement, je ressens mon existence fugace et éphémère face à ces falaises anciennes comme le monde d’avant l’Homme. Je repense à Odysseas (il fut renommé Ulysse par les romains, j’utilise ici son nom d’origine) et à son grand voyage conté par Homère. Est-il passé par là ? A-t-il contemplé, comme moi, ces géants minéraux dont certains pourraient ressembler à un cyclope ?
Mes deux yeux grands ouverts, hypnotisée par cette beauté brute, je quitte « aujourd’hui » pour me retrouver dans un temps où nous ne comptions pas en années ni en millénaires, nous ne comptions pas du tout car la vie n’avait pas encore laissé de trace. Où se trouve l’origine du monde ? Peut-être dans le ventre de ces falaises.
Ps
N’oublions pas nos ventres bien humains et les pizzas délicieuses de Sardaigne que nous avons dégustées au restaurant du port d’Arbatax !

Quelle beauté !
Je me réjouis pour vous ❤
Adrienne
Merci d’avoir partagé tes « adresses » avec nous.
Magnifique!!!
Bonjour la voyageuse, je t’ai retrouvée au fil d’une hasardeuse page blanche et surtout au fil de l’eau ! Comme vous avez raison d’avoir larguer les amarres, je vous souhaite bon vent, belle mer et fiers oiseaux des tempêtes…A notre façon, nous avons aussi pris notre envol, loin du Diable et créons à n’en plus finir ! Becs d’embruns rêvés, de houle imaginée, Magali
Merci beaucoup pour cette poésie tellement fluide et riche et ces photos habitées 😍
Tout de bon 🦢✨
Pour avoir faire le tour de la Sardaigne en voilier également je me souviens surtout du bleu incomparable de la mer le long des falaises. Jamais vu une profondeur de bleu aussi intense !!
Super et magnifique récit
Je me réjouis de lire la suite Fabienne.
Pas facile tout les jours même sur un bâteau et en voyage.courage et à bientôt.Bizz Dominique