


Ça y est ! Nous avons passé les bouches de Bonifacio et ses falaises laiteuses au calcaire érodé, cap sur la Sardaigne et les îles Maddalena ! Nous hissons notre pavillon italien et puisque notre guindeau électrique remarche (rappelez-vous : le moteur qui permet de remonter notre ancre de 20 kilogrammes et sa chaine bien plus lourde) nous optons pour un mouillage loin de tout dans une crique de l’île de Caprera. Arrivée en fin d’après-midi : je saute à l’eau avec délectation, la mer est d’huile et une mouette que nous avons surnommée Gertrude (aucune explication rationnelle) nous a adoptés en se perchant sur le moteur de notre annexe et en nageant autour d’Aleph, à la manière des pigeons qui viennent quémander les miettes sur les terrasses parisiennes. Comme toute mouette, Gertrude rit, se gausse, s’envole et revient, mais si elle avait croisé le regard de Khaleesi, queue battante, à l’affût sur le cockpit, en train de calculer la longueur du bond à effectuer pour l’occire, elle aurait moins gloussé, c’est certain.

Alors que je savoure un vin blanc corse alors que Didier se délecte d’un rhum arrangé (merci Sandra) en grignotant des pistaches, je réalise que je vous dois un « erratum » concernant le précédent article ; comme tout narrateur, il m’arrive de mentir par omission : je ne raconte (évidemment) pas tout.
Certains d’entre vous imaginent déjà que nous avons trouvé les clefs que Saint Pierre cache jalousement depuis plus de deux mille ans et que nous vivons chaque jour dans une béatitude édénique. Au risque de les décevoir je vais vous narrer ce qui s’est vraiment passé à la fin de ce mouillage « idyllique ».
Pour ramener l’ancre, Didier s’est mit à la barre et moi à l’étrave, aux commandes du fameux guindeau : il marche à l’aide d’un boitier, il suffit d’appuyer « up » et le guindeau remonte la chaine dans un bruit de ferraille épouvantable. J’ai le rôle facile, moi qui ne suis pas un grand fan des boutons, j’avoue que cela simplifie quand même la vie. Enfin : pas toujours.
Au milieu de son ascension, tel un montagnard épuisé soudain la chaine s’arrête. Silence inquiétant. J’ai beau presser sur le bouton de toutes mes forces (on appuie toujours plus fermement sur une télécommande qui n’obéit pas, mais qui a dit que l’humain était logique ?), hélas. Pas un seul chainon de bouge et l’ancre badine en eau profonde dans le sable en compagnie des dorades.
L’anxiété grimpe d’un degré : notre guindeau est silencieux, inerte. En grève avec refus évident de coopérer.
Une certaine inquiétude se lit dans nos regards : nous nous trouvons au milieu de nulle part, avec plusieurs dizaines de kilogrammes d’ancrage qu’il faut remonter à bord pour continuer notre Odyssée. Après quelques jurons échangés (en toute bienveillance, rassurez-vous) dont la bienséance m’interdit d’en rapporter ici les termes exacts, nous décidons des rôles : je tire sur la chaine pour remonter l’ancre à l’huile de biceps (je vous rappelle que la principale utilité de ces-dits biceps il y a quelques mois était la pratique de mon clavier d’ordinateur), pendant que Didier, bricoleur né, m’assiste avec la manivelle. Mais… Comment dire ? L’idée était bonne et partait d’une excellente intention, seulement la manivelle ainsi utilisée dévissa la poulie du guindeau, ce qui eut pour fâcheux effet de lâcher brutalement les quelques dizaines de mètres de chaîne que je venais péniblement de remonter à bord.
Nouveaux jurons… (Inspirer, expirer, sourire intérieur, merci Isabelle pour le yoga)
Je rattrape (heureusement gantée) la chaine « au vol », ce qui évite que sa totalité ne se déverse dans la mer.
Je me retrouve alors dans une position délicate que je pourrais ainsi décrire : en stabilité précaire sur l’étrave, sous mon regard la mer tout d’un coup devenue hostile, appui sur mes pieds de part et d’autre de la chaine, corps bandé, mains crispées sur la chaine, incapable de bouger sans me déséquilibrer et de tout lâcher par-dessus bord. J’attends stoïquement que Didier revisse la poulie du guindeau.
Nous finirons par remonter à 4 bras la chaine et l’ancre à bord. A Bonifacio Pierre-Paul, un charmant électricien naval, remettra en état notre guindeau, qui nous suivra dans de nouvelles aventures.
Naviguer, c’est également cela : faire face chaque jour aux imprévus (hier nous avons constaté que notre grand-voile entame une déchirure, aujourd’hui c’est donc une journée couture), s’entraider, faire confiance à l’autre et déléguer. Car nous ne sommes ni des Moitessier, ni des Slocum ou des Soudée : seuls, on n’y arrive pas. A deux, c’est mieux.

Quelle aventure de tous les jours. Vos récits et photos me transporte sur la mer avec vous.
Bises à vous deux
Oups la belle fôte d’orthographe 😏😏😏 dans mon commentaire 😂
bravo ! L’aventure continue…
Caprera! Magique évocation… Combien de souvenirs pour moi qui ai fait les trois « corsi di vela » à l’école de voile avec les beaux moniteurs italiens, Sandro, Michele, Giovanni, Roberto et les autres m’ont enseigné tant de choses au sujet de la navigation, de la météo, de l’amitié! À la fin du cours je ne voulais jamais rentrer en Suisse…
Comme c’est beau de vous suivre, les cris de Gertrude traversent les Alpes jusqu’à Champéry 🌞
Je confirme que les deux écoles de voiles de la crique sont toujours actives ! la journée nous fûmes entourés de petits voiliers rapides qui gitaient à qui mieux-mieux en virant de bord autour des bouées et des voiliers au mouillage. Quant aux beaux moniteurs, je ne les ai regardé que d »un oeil distrait…. hum !
Nous levons l’ancre demain, mais la pause fut belle et je t’écris en attendant le lever de dame lune…. le ciel est parsemé d’étoiles silencieuses qui savent si bien inspirer les poètes.
Quel plaisir de suivre votre aventure grâce à ta belle plume! Les photos sont superbes et me font rêver. J’adore aussi celles des chats!
Comment se comportent t’ils?
Je vous embrasse tous les deux et les 🐈⬛🐈⬛
Quel plaisir de suivre votre aventure grâce à ta belle plume! Les photos sont superbes et me font rêver. J’adore aussi celles des chats!
Comment se comportent t’ils?
Je vous embrasse tous les deux et les 🐈⬛🐈⬛
D’ou l’idée (discutée un verre à la main..) de toujours avoir une seconde ligne de mouillage en poupe, avec, ne serait-ce que 6 m de chaîne et un bon cordage. Si tu prends plusieurs heures à réparer et remonter ton ancre principale, tu as ainsi la possibilité d’assurer ton mouillage avec l’ancre de secours dont l’aussière remontera jusqu’ à l’étrave.
Bon vent.
Merci de tes conseils Captain, nous avons 25 mètres de chaine en 10 mm et une ancre de 20kg en réserve. Les conseils d’hommes de la mer sont toujours les bienvenus.