Cap Figiera : notre premier mouillage

Girolata

Notre odyssée continue : jour après jour nous amarrons sagement Aleph dans les ports : depuis notre traversée sur la Corse, ce fut Calvi, puis Girolata, un minuscule port (peut-on parler de port devant 3 petits pontons de bois plantés dans l’eau limpide d’une baie oubliée du monde ?) et enfin Cargèse, petit port de pêcheurs d’un village aux origines grecques. Ce soir, profitant d’une absence de vent et d’une houle fort modérée, nous tentons l’aventure du mouillage : s’ancrer et passer la nuit « seuls au monde ».

Après avoir consulté notre route, les cartes, la météo, les profondeurs marines, nous jetons notre dévolu sur Cap Figiera, un point de mouillage situé derrière un îlot rocheux. Le guindeau électrique nous aide à descendre notre ancre de 20 kg accrochée à sa chaine de plusieurs dizaines de mètres. Peu à peu Aleph se positionne le nez au vent, le long de sa laisse de métal. Nous sommes à une centaine de mètres d’une plage sauvage totalement déserte en cette avant-saison déjà chaude, puisque le thermomètre affiche 27°c.

Si dans un port nos amarres immobilisent notre voilier, ancré en pleine mer celui-ci se met docilement le nez au vent : le moindre changement de brise le fait pivoter sur lui et nous offre ainsi un paysage changeant : tantôt le large, parfois la côte, alors que la houle nous berce, timide et bienveillante.

A l’approche du crépuscule Khaleesi vient contempler le paysage avec nous : les cotes corses esquissées à l’encre de chine répondent à la splendeur lumineuse d’un ciel d’ouest. La mer s’aplanit et devient transparente comme un miroir sans tain : le ciel & les terres se reflètent dans cette psyché sans limite, l’horizon devient le milieu d’un duplicata géant et merveilleux qui incite au silence.

Et peu à peu le soleil, boule d’or liquide, s’immerge dans l’eau, vaincu par la danse des jours alors qu’à l’Est au même instant émerge une lune ronde et argentée : ainsi va la vie, certaines choses s’éteignent, d’autres se dévoilent à nos yeux. Et nous, simples humains contemplatifs, transmutons ces paysages qui nous incitent une fois de plus au lâcher prise. Car finalement, de quoi sommes-nous responsables, vraiment ? Le soleil, pas plus que la lune, n’a besoin de notre aide pour voyager dans les cieux, nous réchauffer, nous éclairer et nous inspirer.

Laissons faire la beauté.

Les cieux flamboient soudain à la manière d’une chanson de Brel, puis tout s’éteint, une immense coulée de cendres s’installe, laissant ça et là briller les étoiles lactescentes de notre galaxie.

Au loin sur la côte le ressac des vagues fredonne, un petit duc hulule, une poignée de grenouilles croasse et il me semble entendre un chien aboyer. Le mât grince légèrement sous les mouvements d’Aleph qui tourne autour de sa chaine ; nos chattes viennent quémander quelques caresses en ce début de nuit silencieuse : voici de quoi est constitué l’instant.

Éloignés des terres, nous vivons à bord d’une maison mouvante, bercée par la houle nocturne. Notre situation géographique n’est retenue que par une ancre. Ce soir le voyage s’empare de moi un peu plus, nous quittons les sentiers battus des ports apprivoisés qui nous offrent eau, électricité & wifi. Être nomade des mers me va bien. La lune et les étoiles comme unique lumière, la beauté du monde comme source d’inspiration. Ce soir, rien d’autre n’est essentiel.

poissons gourmands

6 Comments

  1. Dimanche matin. Café croissant et ton journal de bord … merci 🙏🏽

    1. Quel plaisir de vous suivre et rêver grâce à ta belle plume. Les photos sont magnifiques, et j’aime particulièrement celle du chat!!
      Comment se comportent t’ils sur le bateau?

      1. Les filles s’amarinent doucement. elles trouvent l’endroit qui bouge le moins quand Aleph gite, Khaleesi vient souvent nous tenir compagnie dans le cockpit à l’extérieur pendant que Kalisto préfère s’enfouir sous nos draps. A chacune sa manière de se gérer, mais dans l’ensemble, elles ont la patte marine !

  2. Tu décrit si bien ce voyage .j ai l impression d être moi aussi sur le bateau . J espère que tu éditeras ton voyage la plume te va si bien

    1. Merci ! je suis tellement heureuse de retourner en Grèce, tel Odysseas, en voilier. Le chemin est beau par lui-même, mais aussi car à l’horizon se profile mon pays bien-aimé.

  3. Que de beauté et récits captivant merci pour ces partages ..belle suite à vous Fabienne
    Kim

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