Dimanche dernier nous faisions une navigation entre Port Camargue (où nous avons fini d’équiper notre voilier) et les Saintes Maries. Entre un ciel alourdi par des nuages gras et une mer à la houle sournoise, Aleph glisse sous une pluie fine et verticale. À sa perpendiculaire exacte règne en maître l’horizon, ligne impraticable qui sépare les eaux inférieures des cieux supérieurs.

Dans mon ciré jaune je n’ai rien d’autre à faire que de contempler cet horizon, en réchauffant mes doigts mouillés au creux de mes paumes, à peine nauséeuse dès que je ferme les yeux. Alors je les garde grand ouverts et laisse divaguer mon esprit au-dessus de cette fine ligne, interface entre le vert bleu de l’eau mouvante et le gris sombre de l’air.
Le mot « horizon » vient du grec « χωρίζω » qui signifie « séparer ». En Grèce, quand je me suis séparée de mon mari, le verbe utilisé était le même. « Horizon » est donc la description du passage de l’unité au « 2 », qu’il soit l’homme & la femme, le ciel & la mer ou bien sûr deux tranches de cake au citron. Je contemple la mer et les cieux d’un même regard et malgré les vagues qui font danser notre voilier, l’horizon reste désespérément rectiligne.
Tout scientifique en herbe sait que la ligne droite n’existe pas dans la nature. Cette ligne aperçue ne serait-elle donc qu’un leurre ? Produit de mon imagination ? Je m’installe dans cette contemplation (ne dit-on pas que pour percevoir les choses, il faut percer pour mieux voir ?) mais l’image mille fois identique s’entête à me décrire une limite.
Cette fine ligne ne serait-elle que l’étape ultime pour revenir à l’unité de toute chose ? Avant le big-bang, avant ce jour fatidique où Dieu décida dans sa Genèse de séparer la lumière des ténèbres, le bas du haut, puis la femme de l’homme…
Pourrais-je, par la simple puissance de mon esprit, annihiler cet horizon fin comme du papier de soie pour soudain entrer dans un grand tout où notre voilier naviguerait à la fois dans les cieux et les vagues, à la fois dans la pluie et la lumière, où Aleph serait moi, où moi je serais l’Univers tout entier tout comme vous qui me lisez et où cet Univers ne serait qu’une vaste entité enfin perceptible que plus rien ni personne ne pourrait morceler ?
Avons-nous un horizon intérieur, intime ? Un trait qui nous scinde ? Cette image me semble absurde, alors pourquoi retrouverait-on ce fractionnement à l’extérieur de nous ? N’est-ce pas produit d’une illusion collective, fruit d’une longue éducation basée sur la division? Rires & pleurs, bonheur & malheur… Bien & mal. Et si tout cela était poussière inventée pour maintenir l’être humain hors d’une condition divine ?

Je plonge alors mon regard sur la vague qui s’approche de la coque, délaissant un instant ce trait imaginaire et me rappelle de cette citation de Rumi « Vous n’êtes pas une goutte d’eau dans l’océan, vous êtes l’océan entier dans une goutte »
^_^
Sans doute mon texte préféré à ce jour… tu parles ici de la dualité… cette notion que nous tutoyons tous les jours en yoga… conscients de cette séparation, en quête de l’unité. Tu as la chance mon amie, de vivre des expériences physiques et spirituelles sur ta nouvelle monture Aleph… où cela te mènera-t-il ? 😊
puisse le chevauchement d’Aleph me mener au fond intime de moi-même, dans la connaissance de qui je suis. Car plus de 50 ans après ma naissance, j’ignore encore tellement de moi 🙂
Très beau texte. J’attends le prochain avec impatience
Encore un texte magnifique qui nous emmène poétiquement
dans l’introspection. Vive la voile, les ciels torturés ou bleus, la mer qui berce ou qui gronde.
Bientôt le départ alors bon vent
Merci
J’aime beaucoup ce texte à la fois contemplatif et profond… merci Fabienne de nous partager tes pensées et d’écrire avec cette légèreté qui nous emmène un peu avec vous sur l’Aleph.