le baptême : Aleph est notre voyage

Vendredi 18 mars, fin de l’hiver : levés au petit matin, nous préparons le voilier en vue de quitter Port Camargue qui nous héberge depuis 1 mois et demi. Nous avons pu mettre le bateau en cales sèches afin de lui offrir un nouveau carénage, réviser le moteur, changer le refroidisseur de notre glacière, contrôler l’étanchéité des passes-coques et continuer d’œuvrer pour redorer le blason de notre ancien voilier.

Aujourd’hui, nous allons baptiser notre voilier qui navigue pour la première fois sous son nouveau nom : Aleph. Nous naviguons dans une houle ample et généreuse et un ciel brumeux estompe l’horizon : le soleil pourtant tout proche a peine à percer. La mer hésite entre le gris clair et le vert, un vent discret effleure les voiles. Le moment est propice ! Cette lenteur tranquille nous invite aux ablutions baptismales.

Personne ne s’étonnera si je vous dis que nous avons préféré le rhum à l’eau bénite : nous débouchons une bouteille d’un excellent Sister Isles en demandant à Poséidon qui règne sur les mers de prendre soin d’Aleph, puis à Eole, dieu venteux, de devenir ami avec notre voilier, enfin à tous deux d’accompagner notre Odyssée de leur bienveillance. Une rasade de rhum dans les vagues pour Poséidon, une giclée en l’air pour Eole et une coulée sur la plage arrière de notre voilier ;  il manquait le signe de croix, le bon Dieu ne nous en tiendra pas rigueur. Nous complétons notre rituel d’une gorgée de rhum. Le pacte est scellé : nous avons bu avec les dieux, puissent-ils s’en souvenir et toujours nous protéger.

Aleph : première lettre de l’alphabet sacré hébreu qui donnera le Alpha puis notre A. Aleph symbolise l’air, élément indispensable à notre voyage. Cette lettre mère initie le chemin qui mène à la connexion divine. En tarot, Aleph correspond au bateleur, celui qui nous parle encore du voyage initiatique vers la connaissance de soi. Un bateleur sur un bateau… logique implacable de la langue des oiseaux !

Dans le sillage d’Aleph apparaît soudain un groupe de dauphins noirs qui nous accompagnera plusieurs minutes de leurs cabrioles joyeuses dans l’eau claire. Feu noir sur feu blanc…

Puis la brume se déchire sur l’horizon et apparaît au loin l’église des Saintes Maries, surplombant de sa magnificence le village de pêcheurs. Nous passons entre les balises verte et rouge de l’entrée du port pour accoster au ponton 0.  Il nous faut doubler les amarres car le port est connu pour être venteux. Ce soir, la pluie tombe doucement et nous accompagne de son clapotis alors que nous buvons un thé chaud dans notre carré. Juste derrière la digue les vagues brisent leur violence sur la plage et nous accompagnent de ce murmure sauvage.

Notre navigation aujourd’hui, c’est le petit pas qui présage le grand départ de mai. Un Aleph en minuscule, si on veut. Mais qui recèle déjà le mystère de derrière l’horizon.